L’ours machine à sous et l’Europe
vache à lait… certains veulent que ça continue, et en Espagne la Navarre
l’avoue sans ambages !
Compte rendu succinct – B.
Besche-Commenge, représentant l’ADDIP.
Le 25 janvier 2013, pour la première fois, l’ADDIP
a été invitée à participer au groupe de travail de la Commission européenne de
l’Environnement sur le programme LCIE, en français : Initiative Européenne
en faveur des Grands Carnivores. Au niveau national le Président du groupe
« grands carnivores » de la FNO (Fédération Nationale ovine) faisait
aussi partie de la délégation, de même que, pour les Alpes l’unité technique et
de recherche sur le pastoralisme CERPAM qui participe, comme l’ADDIP, à cet
atelier de la FNO.
Pia Bucella, Directrice de la DG Environnement,
présidait la séance. Propos introductifs très nouveaux par rapport à la
situation antérieure, et révélateurs du malaise général que génère, dans toute
l’Europe, ce programme Grands Carnivores : « … nouvelle approche du sujet … écouter le terrain » (Entre
guillemets et italiques, je rapporte tels quels les propos que j’ai pris en
note. Merci aux traducteurs, très efficaces).
Les associations environnementales et organismes
associés depuis l’origine à ce programme étaient très nombreux (plus d’un tiers
des participants), et il était clair qu’ils se sentaient ici chez eux :
grands saluts, bisous, rires complices avec certains représentants de la DG
environnement … ADDIP, CERPAM, FNO ne faisaient pas partie du club ! Un
des représentants de la LCIE s’étonna même publiquement de la présence de
l’ADDIP.
Mais, et c’est plus grave, l’un des membres de la
DG Environnement, Angelo Salsi, Chef de l’Unité Life-Nature qui gère ces
programmes européens, fut au diapason : après avoir souligné que le
soutien social avait chuté dans plusieurs pays, dont pour le sien dans le
Trentin, il s’en prit alors aux élus et aux médias responsables selon lui de ce
phénomène : « il y a un
grand acteur média qui peut tout vous casser en quelques mois, les journaux
peuvent le faire, et les politiques locales aussi. Comment résister à ce type
de pression ? » Curieuse conception de la démocratie !
Totalement contradictoire en outre avec cette écoute du terrain à quoi Pia Bucella avait appelé et avec l’esprit
général de la journée de travail où s’il n’y eut absolument pas consensus, si
les désaccords furent fermement exprimés, l’on ne se crêpa pas pour autant le
chignon, au contraire !
Du côté des associations environnementalistes, une
représentante polonaise exprima passionnément son amour pour les grands
prédateurs, sympathique et un peu irrationnelle comme toute passionnée et
l’accent polonais est très musical, mais l’on n’est pas obligé d’imposer ses
passions à tous ses contemporains. Pour les autres, les interventions furent
beaucoup plus prosaïques : il apparut vite qu’ils étaient là pour la
gamelle !
Dans le groupe de travail auquel je participais,
le sujet majeur fut celui du « lack
of klowledege », du « manque
de connaissance » sur les grands carnivores dont les populations
locales, par nature un peu simplettes, seraient victimes, ce qui les amène à
s’opposer, et souvent fortement, à l’expansion de ces prédateurs sur leur
territoire. Il fallait donc de nouveaux budgets pour porter la bonne parole et
rééduquer les incultes. Ces associations étant bien sûr les mieux placées pour
se sacrifier à cette ingrate mais nécessaire pédagogie. Angelo Salsi, déjà cité
pour son étrange conception de la démocratie, leur avait tendu la perche en
déclarant « une action
indispensable : sensibilisation, communication » mais que « hélas investissement faible ».
L’Europe vache à lait était convoquée une fois de plus.
En fait c’est comme ça depuis qu’existe la
LCIE et les programmes Life-Europe. Dans
les Pyrénées par exemple, le FIEP d’abord, l’ADET ensuite furent et sont
toujours largement subventionnées pour ce rôle « éducatif » … avec le
succès qu’on connaît : un rejet total de la part des populations
concernées qui a d’ailleurs conduit ces programmes européens eux mêmes à
annuler les autres importations d’ours qu’ils avaient prévues après les lâcher
de 1995 - 96, « suite à l’opposition
des populations locales. » (cf le bilan 2011 des programmes "LIFE
and European Mammals: Improving their conservation status" , page 42).
Un sacré paradoxe !
Et le même rejet existe dans quasiment tous les
pays de l’UE y compris à propos d’ours en Slovénie, alors qu’en France on nous
vend l’inverse : le premier des quatre documents de travail remis aux
participants, mentionne parmi les principales menaces contre les ours dans ce
pays « l’acceptation humaine »
et les « conflits avec les humains
dus à la destruction de leurs biens » (pages 53-54 de Status,
management and distribution of large carnivores – bear, lynx, wolf &
wolverine – in Europe, december 2012 – Part 1 – pas en ligne)
Et en ce sens notre présence a permis de faire
entendre un autre discours que celui dominant même si, dans l’organisation
prévue des débats, il fallut un peu … s’imposer pour exprimer nos analyses.
Nous ne fûmes pas les seuls, en séance plénière
finale c’est le propre représentant du Ministère Fédéral de l’Environnement
(Bône) qui tapa sur la table, je cite : « ne pas faire passer la Directive Habitats à marche forcée … les
approches mises en œuvre inquiètent … les éleveurs sont très soucieux, c’est
très difficile dans la zone alpine ». Celui de l’association slovaque
des chasseurs : « pas possible
de continuer comme ça … problèmes importants dus aux ours y compris avec les
humains », son homologue suédois à propos des loups : « la gérance par l’UE a été une catastrophe. ».
Association finlandaise des éleveurs de rennes : « ça ne peut pas continuer comme ça, on ne
peut pas attendre 20 ans. ». Représentant du Centre de protection des
Troupeaux de l’Autriche : « ne
pas se cacher derrière la Directive, les agriculteurs ont une peur existentielle
de disparaître. ». La Fédération des paysans roumains : « que la Commission atterrisse dans la
réalité, les sociétés ont de plus en plus conscience de ce qui se passe et sont
très préoccupées ».
Même analyse exprimée dès la session plénière d’ouverture
par le représentant des agriculteurs finlandais auquel nous avions pu faire
passer la veille des informations sur la situation en France, il la mentionna.
Ce véritable tir groupé conduisit d’ailleurs l’un
des représentants du Conseil Européen (je n’ai pas pu noter son nom) à déclarer
qu’il fallait « plus de démocratie,
plus de flexibilité. » Nous lui conseillons d’expliquer cela au
représentant de la Commission Angelo Salsi. Lui rappeler par exemple que
l’Europe s’est construite en réponse un totalitarisme vert de gris qui avait
abondamment éliminé médias, politiques pas d’accord et populations pas dans le
moule tout en éduquant ce qui restait sur son modèle unique.
Retour en France, je découvre ce qui est en train
de se passer en Navarre autour d’une encore très incertaine importation d’ours
dans cette Communauté autonome. L’ADDIP y reviendra sur le fond et la forme,
simplement souligner ici comment effectivement la vache à lait Europe peut être
gentiment exploitée sous la peau d’un ours dont en fait on se moque royalement
sinon, justement, pour ce côté vache, un curieux hybride j’en conviens mais
c’est le cas.
Il faut savoir que la vallée de Roncal s’oppose à
ce programme mais que, comme dans d’autres petites communautés autonomes, des
sommes faramineuses y ont été versées par l’Europe pour construire des centres
d’interprétation de la nature totalement disproportionnés, au personnel souvent
pléthorique, que la crise ne permet plus de payer. Dans les Asturies l’un des
ces centres (coût de construction à l’époque 900.000 euros, ce serait près de
1.200.000 aujourd’hui) n’a même jamais fonctionné et le bâtiment s’est
tellement dégradé qu’en l’état il est inutilisable, on envisage de le détruire
car bien moins cher que de le rénover.
Le Parlement de Navarre, ne s’embarrasse par
d’écologie, de soi disant espèce en péril et autres fariboles pour naïfs.
Publiée dans le numéro 3 du 14 janvier 2013 du Bulletin
Officiel de Navarre, la motion qu’il a adoptée à l’instigation de la
coalition de plusieurs groupuscules nationalistes basques regroupés sous le nom
Nafarroa Bai est claire : « Il n’est pas compréhensible, et encore moins
en cette période de crise, que la Navarre et la Vallée de Roncal refusent de
recevoir 800.000 euros des fonds Life-Europe, qui auraient entraîné de nouveaux
postes de travail dans la vallée, aidé à maintenir ceux qui existent (Centre
d’Interprétation de Roncal) et auraient rendu possible une meilleur cohabitation
avec l’espèce /…/ » On a droit ensuite au violon habituel sur le
patrimoine européen, et du massif etc. etc. !
J’aurais l’occasion de revenir de façon plus
détaillée sur les suites de cette journée. Mais il serait quand même
indispensable que les élus européens, au moins ceux représentant les régions
pyrénéennes, se penchent sérieusement et de près sur à la fois le déni de
démocratie qui peut chez certains s’exprimer ainsi sans pudeur au niveau de la
Commission, et sur l’affectation et l’usage réel d’un budget européen
globalement en difficulté pour des opérations dont les 20 dernières années ont
clairement montré que le problème qu’elles prétendaient résoudre n’était pas du
tout celui qu’elles exhibent comme alibi.
« … Nouvelle
approche du sujet … écouter le terrain », disait en ouverture Pia
Bucella, Directrice de la DG Environnement. Sans doute alors n’est-il pas
nécessaire de revenir aux errements du passé : je l’ai indiqué ci-dessus,
nous étions loin en Europe d’être les derniers indiens isolés campant sur leur
réserve, c’était même le contraire. Oui, « écouter le terrain … », ça revient moins cher, ou le même
argent peut y être affecté à des actions autrement plus efficaces, y compris
pour la biodiversité, la vraie, pas celle réduite à quelques bestioles
poilues, emblématiques et, surtout, très
médiatiques …
Certains n’y auront plus la gamelle ? On leur
trouvera autre chose à faire si vraiment ils s’intéressent au massif.
B. Besche-Commenge, représentant de l’ADDIP - 6 février
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