jeudi 6 juin 2013

« Protéger les troupeaux contre la prédation, de l’alpage à l’exploitation »

« Protéger les troupeaux contre la prédation, de l’alpage à l’exploitation », c’est le problème qu’abordait

 
 
le séminaire organisé par le CERPAM (Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée) à

Valdeblore, dans les Alpes Maritimes, les 3 et 4 juin 2013. Le loup était concerné alors même que des attaques

incessantes, à un niveau déjà pire que celui des années précédentes, venaient confirmer l’urgence du problème.

Deux volets dans ce séminaire : - le bilan technique des mesures mises en oeuvre pour tenter cette

protection, et de leurs conséquences sur l’économie pastorale, - les témoignages d’éleveurs de diverses régions

françaises : Alpes majoritairement depuis longtemps, mais aussi Jura, Vosges, Lozère à présent impliqués.

Le bilan est redoutable : le point limite a été franchi. Si, dans certains contextes précis et nullement

généralisables, l’arsenal des mesures de protection peut être efficace, et encore partiellement et souvent

momentanément, pour de plus en plus d’exploitations pastorales ces mesures sont inadaptées, impossibles

techniquement et financièrement, contradictoires avec les réalités zootechniques et économiques de l’élevage,

humainement inacceptables.

Sur ce dernier point, il faudrait être pire qu’une pierre pour ne pas être empoignés par les témoignages des

éleveurs, sur l’estrade comme dans la salle, beaucoup de femmes, qui ont exprimé leur profonde souffrance et

l’usure physique et morale face à la situation.

Insupportable d’entendre tel jeune éleveur, au bord des larmes, raconter ses jours et ses nuits à monter

une garde épuisante et inutile parce que le loup, de toute façon, est invisible et quand on s’en rend compte c’est

trop tard ; se forcer à manger parce qu’on sait bien sûr qu’il le faut même si on n’en a plus du tout envie ; se

réveiller en sursaut la nuit même lorsqu’on n’est plus en territoire du loup parce que la peur est devenue la

première compagne ; la copine qui finit alors par partir parce que pour elle aussi c’est invivable.

Et pour tous : ne plus savoir parler de rien d’autre que ça ; les gosses qu’on ne voit pas grandir parce

qu’on vit en permanence « au cul » du troupeau ; le sentiment d’impuissance et d’inutilité qui vous envahit.

En ce sens, la projection du film « Éleveurs, les morsures invisibles », réalisé par la Mutualité Sociale



Agricole Ardèche – Drôme – Loire, a été aussi un moment fort : comme pour toute personne victime d’un

accident ou d’une agression très traumatisante, un soutien psychologique a dû être mis en place pour

accompagner les éleveurs dans le difficile gestion personnelle et familiale des conséquences.

Faudra-t-il attendre que l’irréparable se produise pour enfin comprendre la situation ? Ce n’est pas du tout

une vue de l’esprit : à côté des Pyrénéens venus apporter leurs soutien (ACAP et ADDIP), un éleveur finlandais,

représentant les éleveurs européens au niveau de l’UE, avait fait le déplacement pour s’informer sur la réalité

française. Il a notamment raconté cette histoire survenue chez lui : ne supportant plus une prédation totalement

ingérable, un groupe d’éleveurs décida de tuer la meute responsable. Ils furent emprisonnés le temps de

l’instruction, à sa sortie l’un d’eux se tira une balle dans la tête.

Faut-il dire : match nul, 1 à 1, une meute, un homme ? Mais où vit-on ? Quel monde, quelle Europe?

Parce que le problème est bien là, quelle Europe ? Impossible de ne pas poser la question quand le propre

représentant du Ministère de l’Environnement présent, conscient comme tous du caractère insupportable des

situations vécues, a posé le contexte dans lequel la France est obligée de raisonner. Obligée en effet parce le

texte européen qui encadre les loups, et au delà toute la politique environnementale des États membres, est

juridiquement contraignant.

La directive Habitats, Natura 2000, impose l’obligation, sous peine de très lourdes amendes, de donner la

priorité aux loups, comme au « sauvage » en général. Les marges de manoeuvre pour essayer, malgré tout, de

préserver hommes et troupeaux sont très étroites et toujours susceptibles des foudres de la Cour Européenne. Ce

n’est pas là non plus une vue de l’esprit : ce qui se passe à l’heure actuelle autour du hamster en Alsace, la

récente condamnation de notre pays par cette Cour pour ne pas avoir intégré dans sa législation les articles les

plus contraignants de la Directive, montrent clairement où est la contrainte.

Ces marges de manoeuvre, il faut bien sûr en jouer le plus possible. Cela ne règlera rien sur le fond, et tout

le monde dans la salle comme à la tribune en était conscient. Oui, sur ce plan la situation peut être désespérante.

Elle n’est pas désespérée. D’une part certaines marges de manoeuvre sont sans aucun doute à creuser davantage ;

travail difficile et incertain mais indispensable et en cours. Mais d’autre part, sur le fond, dans quasiment tous les

Etats membres on commence à se poser de sérieuses questions sur cette Directive, à de multiples niveaux, dont

la biodiversité elle même, qu’il serait trop long de reprendre ici.

Pour la situation pyrénéenne, l’ADDIP depuis longtemps alerté sur cette Directive et a déjà mené une

réflexion de fond la concernant. Nous ne sommes plus seuls, pas seulement en France, en Europe aussi. Comme

avec les loups, pour les ours, sur le terrain, des solutions concrètes sont à trouver, des actions à mener. Mais au

delà, et les éleveurs présents au séminaire de Valdeblore l’ont exprimé avec force, cet ensauvagement de nos

territoires de vie, nous n’en voulons pas, ni les uns ni les autres. C’est cela que l’Europe doit entendre.

Oui, c’est une guerre, et il faut dire que, sur ce plan, les représentants de Ferus ou ceux très hypocrites de

« la pastorale Pyrénéenne » chargés de placer des patous en tentant de faire croire qu’ils sont neutres en l’affaire

alors que c’est leur garde manger, pâlissaient à vue d’oeil au fur et à mesure que le séminaire avançait. Ils avaient

aussi perdu des langues qu’ils ont en général très affûtées. C’est ce qu’on appelle : le courage de ses opinions.

Et il faut à l’inverse saluer le courage du représentant du Ministère : c’est peu dire qu’il était dans le

viseur ! Mais en posant le problème dans son contexte il a permis, je crois, à chacun de mieux comprendre ce

qui, lorsqu’on le vit dans l’horreur quotidienne, semble une fatalité venue d’on ne sait où.

Cette guerre nous la menons de plus en plus en commun. Elle est « contre » certes, mais parce qu’on nous

y oblige. Mais elle est d’abord pour : assurer l’avenir de ce pastoralisme dont les façons de produire et les

produits correspondent de plus en plus à une demande de nos sociétés développées, assurer en même temps la

conservation de milieux et paysages liés depuis le néolithique à la présence des hommes et des troupeaux,

assurer par la même à la société la possibilité de jouir de ces paysages et milieux dont, là encore, elle est de plus

en plus « en manque » dans sa vie quotidienne.

Certains voudraient faire croire que le monde pastoral est archaïque, refermé sur lui même, c’est

exactement le contraire : les enjeux que nous défendons sont plus que jamais contemporains, et concernent

directement tous nos contemporains. C’est aussi ce qu’a souligné à Valdeblore le Président de la Fédération

Nationale Ovine.

Merci aux amis alpins de nous avoir permis, une fois de plus, d’avoir vu que nous sommes identiques

dans cette volonté. Et, ils le savent, nous sommes à leur côté, y compris pour les actions concrètes à mener sur le

terrain afin de faire entendre avec force, grande force, ce que nous refusons et ce que nous voulons.

Pour l’ADDIP, son représentant à Valdeblore, B. Besche-Commenge
 
 
 

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